Certains psys que j’ai croisés au cours de mes années d’errance étaient de véritables escrocs. Je repense à l’un d’entre eux, qui était pourtant recommandé par une association renommée, qui non content d’envoyer des factures à mes parents pour les séances du mois à venir payables à l’avance, organisait des « déjeuners thérapeutiques » (facturés eux aussi, mais à la fin du mois) avec d’autres jeunes patients en souffrance, dans un restaurant branchouille où travaillait son fils, à deux pas de son cabinet. Je ne sais pas comment décrire l’incongruité totale de ces déjeuners. Nous nous retrouvions entre paumés, sans avoir rien demandé et n’ayant pas grand-chose à partager, ni grand-chose en commun, si ce n’est de n’aller pas bien, et nous assistions au « show » de la relation « remarquable » que notre psy entretenait avec son fils, qui lui ne souffrait d’aucune tare, et répondait, avec un empressement qui en disait long sur son besoin d’amour, aux joyeusetés de son père. Quant aux vertus thérapeutiques de ces déjeuners, elles étaient nulles, sauf pour notre psy et peut-être (j’en doute) pour son fiston.
J’ai dû finir par avoir marre de cette mascarade, et malgré les injonctions de mes parents, j’ai cessé d’y aller.
Il y a aussi le tout premier psy que j’ai connu. J’avais quinze ans. C’était la période cruciale où j’étais en train de mettre en place inconsciemment les conditions de mes futurs ratés, où j’avais commencé à fumer beaucoup de shit, où je cherchais des limites en repoussant les miennes toujours plus loin. Nos séances se déroulaient dans un centre assez connu près de la Place Monge. Cet abruti n’a rien trouvé de mieux à faire que de ne pas décrocher un mot, ou presque, pendant pas loin de deux ans de séances hebdomadaires. Mes parents m’obligeaient à y aller, inquiets qu’ils étaient. Je ne disais rien, ou presque, je n’avais pas envie d’être là, et lui non plus ne disait rien. Je ne sais pas s’il avait envie d’être là, en tout cas, il était payé pour. On se regardait en chiens de faïence pendant une demi-heure, et… rien.
J’ai dû finir par avoir marre de cette mascarade, et malgré les injonctions de mes parents, j’ai cessé d’y aller.
Je suis retourné le voir quelques années plus tard pendant quelques mois, il devait se flatter de me voir enfin lui parler de choses, qui à vrai dire ne signifiaient pas tant pour moi. Je me souviens d’une série de séances où je lui parlais d’une lecture du moment avec un certain enthousiasme, séances qui se sont avérées totalement stériles.
J’ai dû finir par avoir marre de cette mascarade, et malgré les injonctions de mes parents, j’ai cessé d’y aller.
Il y a encore, bien plus tard, ce psychanalyste de CMP. J’avais fait la demande à la psychiatre qui me suivait de commencer une analyse, et elle m’avait envoyé vers ce type, au look de soixante-huitard sur le retour, qui, pendant que j’étais sur le divan à essayer d’élaborer quelque chose, cliquait nonchalamment la souris de son ordinateur sans dire un mot.
Je n’ai pas insisté et j’ai très vite cessé d’y aller.
Enfin, il y a tous ces psychiatres, sachant et péremptoires, qui vous donnent le sentiment d’être au tribunal dès l’instant où vous franchissez la porte de leur bureau. Mes parents ont particulièrement souffert de leurs sentences et verdicts. Tous ces types prêtaient certainement attention à leur ego, à leur statut et à leur stature, à leur bienséance, à remplir mon ordonnance comme des apprentis sorciers, à encaisser le montant des séances, mais ne me prêtaient pas leurs oreilles. Ce que je pouvais avoir à dire était avorté. Ces mots non-dits furent des « maux-dits » à travers les symptômes spectaculaires de ma souffrance et les textes de rap bancals dans lesquels je me livrais à mon introspection.
Connards.
Monsieur […] m’a accueilli pour la première fois un peu avant mes trente ans. Dès les premières séances, il s’est passé quelque chose : sa présence, son écoute, son absence de peur, son hospitalité, sa bienveillance à mon égard ont eu un effet spectaculaire sur ma santé, en quelque mois à peine. Je trouvais enfin un lieu et une place, sécures, où je pouvais exprimer mes pensées et panser ma souffrance. Les mots pansaient les maux, souffrir se conjuguait avec le sourire. J’ai continué de le voir durant sept années et demie, jusqu’à sa mort. Il a sauvé ma vie, m’a permis de me construire un récit, m’a permis de me raconter et de donner du sens à mon histoire. Je récolte chaque jour les fruits de ce travail. Peut-être que découvrir la part de mon inconscient dans mon vécu m’a soulagé de l’idée commune selon laquelle chacun est maître de soi et de son destin. Souscrire à cette idée, c’est occulter les effets de l’inconscient et de son action sur nos choix, nos amours, nos amitiés. Il a été probablement plus simple pour moi de me rendre responsable de ce que je me cache (mon inconscient et ses effets), que d’être coupable, malgré moi mais avec ma volonté consciente, d’une souffrance vécue comme injuste et arbitraire dont, pour d’obscures raisons, j’aurais à faire les frais.