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Hier soir, en m’engouffrant sur la ligne 2 à Pigalle au bras de ma tendre et chère, quelqu’un tentait de voler son téléphone à une jeune femme sortie s’amuser pour Halloween, pour Halloween ou pas. J’étais dans mes pensées et n’ai strictement rien remarqué de la scène, si ce n’est que ma compagne semblait perturbée parce qu’elle en voyait : la tête ailleurs qu’à notre trajet, elle tenta de passer par les portes automatiques de sortie plutôt que par les tourniquets. Lui faisant remarquer, nous bifurquâmes vers les dits-tourniquets derrière lesquels se tenait un grand et jeune type.

Arrivés sur le quai, ma douce me résume la scène que je n’avais pas suivie : un type tente de voler le téléphone intelligent d’une jeune femme, la jeune femme lui court après, parvient à récupérer l’extension de son bras. « Par contre, me dit-elle, je n’ai pas aimé ce que m’a dit le mec ». Moi : « Quel mec ? ». Elle : « Bah celui qu’était derrière les tourniquets ». Moi : « Ah ? Qu’est-ce qu’il a dit ? ». Elle : « Encore un putain d’arabe » — le « putain d’arabe » désignant le voleur qui a loupé son forfait. Moi : « Connard ».

Sur ces bonnes paroles, le grand type auteur de ces mots inqualifiables s’avance vers nous, ayant compris que le « connard » prononcé par mes lèvres le désignait.

Il avait envie de parler. Ma compagne devance — ou pas, je n’en suis pas si sûr — sa demande et lui dit d’emblée que c’est inacceptable de parler comme il l’a fait, ce à quoi j’abonde en ajoutant « c’est en tenant ce genre de propos qu’on risque de se retrouver avec Zemmour en 2022 ». Lui : « Mais heureusement ! ». Quelle naïveté de ma part de ne pas avoir anticipé que le type puisse être déjà converti à l’amour de Zemmour ! À tort ou à raison, cette sortie signe pour moi de façon irrévocable l’inimitié qui me lie à cet oiseau.

Changement de ton et de registre, ulcéré, je vocifère ma colère, arguments inaudibles et coups de pression, à l’adresse de l’amoureux de Zemmour. Ma compagne essaie de me raisonner, m’enjoint à ne pas crier, que ce n’est pas la solution. Peut-être, mais de là où je suis, de là ou je parle, et dans cette situation, je ne sais pas faire autrement.

Je me détourne de ma compagne et de l’olibrius, rejoint depuis quelques secondes par ce que j’imagine être l’un de ses copains. Ma compagne en montant dans la rame est toujours en train de parlementer avec les deux fafounets. Assis, je perçois deux-trois bribes de leurs pourparlers, vains et pathétiques. Ce qui me donne l’occasion de vociférer : « Et les voyous en col blanc, on en parle ? […] Entre voler des milliards et voler un portable ? Ça monte, à ton cerveau ? […] Va lire un livre ! ». Il ne voit pas le rapport. Bah non. Cette envolée me vaudra la sympathie d’une partie de la rame, c’est déjà ça… Ou pas. S’ensuit que le couple Zemmourien sort de la rame, et que ma compagne me rejoint sur l’un des bancs de la ligne 2, ceux qui se font face.

Ah j’allais pas m’en tirer à si bon compte. Elle ne supporte pas quand je me mets dans cet état de colère, que je hurle, que ça ne résout jamais rien, que ça lui fait peur. Moi : « Oui, tu as raison, je suis désolé, seulement, je n’ai pas su faire autrement ». Elle : « C’est bien le problème. ». Moi : « Oui. ». Et elle d’insister, d’enfoncer le clou, à croire qu’elle voulait appuyer sur le bouton qui me ferait m’énerver à nouveau. Et ça marche.

Nous passons la fin de notre trajet et le premier quart d’heure qui suit notre arrivée dans nos pénates, en froid et en colère l’un contre l’autre. Comme nous sommes capables de nous écouter l’un l’autre, et que notre amour n’est pas identifiable à celui de Zemmour, nous retombons sur nos pattes et passons une fin de soirée et une nuit douce, bordés par des notes tendres dans nos voix et la paix, qui, toujours, prépare la guerre.